Gouvernance

Si la gestion porte sur ce qui est fait (quoi), dans un environnement donné, pour atteindre les résultats souhaités sur la base de moyens et de ressources donnés, la gouvernance concerne le qui décide des activités de gestion (et du budget), comment ces décisions sont prises et si elles sont à terme mises en œuvre (ce qui inclut de garantir que des ressources appropriées et suffisantes sont disponibles).

La gouvernance a été plus largement définie comme le processus « d’interactions entre les structures, les processus et les traditions qui déterminent la manière dont le pouvoir et les responsabilités sont exercés, la manière dont les décisions sont prises et la manière dont les citoyens ou les autres acteurs clés ont leur mot à dire »[1]. Concrètement, pour un territoire ou une zone donnée, la gouvernance signifie « détenir l’autorité et la responsabilité, ainsi que rendre des comptes sur ces principales décisions, au regard d’instruments légaux, coutumiers ou tout autre moyen légitime »[2]. Il s’agit de « prendre des décisions et de garantir les conditions de leur mise en œuvre effective », c’est-à-dire, « le processus de développement et d’exercice de l’autorité et de la responsabilité dans le temps […], y compris en relation avec les processus d’apprentissage et l’évolution des institutions de la société »[3].

La gouvernance est probablement l’élément le plus déterminant et nécessaire pour définir les APAC—territoires de vie. Plutôt que de dépendre exclusivement des droits et titres de propriété (qui sont importants mais pas essentiels), les territoires de vie sont ancrés dans la capacité et la volonté effectives des Peuples Autochtones et des communautés locales de gouverner leurs territoires. Dans les APAC—territoires de vie, nous trouvons des Peuples Autochtones et des communautés locales qui, à travers leurs propres #institution de gouvernance, prennent (ou s’efforcent de prendre) des décisions, mettent en œuvre leurs propres règles d’accès et d’utilisation, atteignent des objectifs, apprennent, partagent, vivent et incarnent leurs propres valeurs et leur sens de l’identité en relation avec la nature, les autres humains et les autres êtres spirituels (au-delà de l’humain).

La Convention sur la diversité biologique (CBD) et l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) distinguent quatre grands types de gouvernance pour les aires protégées et conservées (voir #aire protégée; #aire conservée) selon les acteurs qui ont l’autorité principale et la responsabilité de prendre et d’appliquer les décisions. Ces types sont : (A) la gouvernance par le gouvernement (comme pour un parc national classique, géré par une agence gouvernementale) ; (B) la gouvernance commune partagée par divers acteurs (par exemple pour un paysage protégé, où les décisions sont prises par un conseil qui comprend des ministères nationaux, des municipalités locales, des universités et des ONG de conservation) ; (C) la gouvernance par des particuliers ou des organisations (par exemple pour une aire protégée privée, où les décisions sont prises par les propriétaires fonciers) ; et (D) la gouvernance par des Peuples Autochtones et/ou des communautés locales (par exemple pour une APAC—territoire de vie, où les décisions sont prises par le peuple ou la communauté concerné). La reconnaissance d’un type spécifique de gouvernance collective des Peuples Autochtones et communautés locales dans la politique internationale de conservation est extrêmement importante, car elle rend hommage à leur rôle crucial dans la conservation de la nature et le maintien de la biodiversité sur notre planète; au bénéfice de l’ensemble de l’humanité.

La « pertinence » d’un type de gouvernancedonné dépend de l’histoire de l’occupation et des droits de chaque territoire ou aire, ainsi que de la nature des relations qui se tissent localement et des pratiques d’autodétermination durables de leurs éventuelles communautés gardiennes. Comme indiqué dans les lignes directrices volontaires adoptées par les Parties à la CDB en 2018, le type doit être «  adapté au contexte spécifique, socialement intégré, respectueux des droits et offrant efficacement pour obtenir des résultats en termes de conservation et de subsistance »[4].

Au cours des dernières décennies, l’UICN et les Parties à la CDB ont davantage reconnu les « valeurs multifacétiques de la gouvernance collective des Peuples Autochtones et des communautés locales »[5] et ont identifié les principes et valeurs de « bonne gouvernance » à respecter et à encourager. Ceux-ci comprennent : « des procédures et des mécanismes appropriés : pour la participation pleine et effective des Peuples Autochtones et des communautés locales ; […] pour la participation effective et/ou la coordination avec d’autres acteurs clés ; pour [la reconnaissance et la prise en compte] des régimes fonciers et des systèmes de gouvernance coutumiers […] ; pour la transparence et la responsabilité ; pour le partage équitable des bénéfices et des coûts, [et pour] la cohérence avec les articles 8(j) et 10(c) [de la CDB] et les dispositions, principes et lignes directrices connexes »[6]. En d’autres termes, les décisions relatives aux aires protégées et conservées doivent être prises et mises en œuvre « de manière légitime, compétente, inclusive, équitable, dans une perspective visionnaire et responsable, et dans le respect des droit »[7].

Selon le Centre pour la Gouvernance des Premières Nations[8], une gouvernance efficace (et probablement appropriée) repose sur cinq piliers : 1. les personnes (vision stratégique commune, partage d’informations significatives et participation à la prise de décisions) ; 2. la terre (intégrité territoriale, réalisation économique, respect de l’esprit de la terre) ; 3. les lois et les juridictions (élargissement des juridictions et primauté du droit) ; 4. les institutions (harmonisation culturelle des institutions et relations intergouvernementales efficaces, organisations axées sur les résultats, transparence et équité) ; et 5. les ressources (capacité en termes de ressources humaines, de gestion financière, évaluation du rendement, responsabilisation et rapports, et diversité des sources de revenus). Ressources (capacité en ressources humaines, capacité de gestion financière, évaluation des performances, réédition des comptes et rapports, et diversité des sources de revenus).

Qu’est-ce que la diversité de la gouvernance ?

Nous parlons de diversité de gouvernance lorsqu’une variété d’acteurs sont engagés dans un système de conservation. Par exemple, un système national d’aires protégées qui comprend des aires gouvernées par différents types d’acteurs (comme des municipalités, des entités privées, des Peuples Autochtones, des associations, des ONG, divers ministères et agences) selon différents arrangements (comme la gouvernance partagée, la gestion déléguée) est plus diversifié qu’un système qui, disons, ne comprend que des parcs nationaux placés sous la responsabilité d’une seule agence de gestion des parcs.

Un système d’unités territoriales diverses peut également être identifié au sein d’une seule aire protégée, par exemple lorsque l’aire a été établie en chevauchant des territoires de vie préexistants avec leurs propres autorités de gouvernance. La promotion, la reconnaissance et la collaboration de divers acteurs de la gouvernance dans de tels chevauchements peuvent également être considérées comme une « amélioration de la diversité de la gouvernance »[9].

Les systèmes de gouvernance fortement diversifiés nécessitent des efforts concertés et systématiques de coordination entre les acteurs. Ils sont toutefois plus inclusifs et généralement perçus comme plus légitimes. Comme ils peuvent concevoir et mettre en œuvre une plus grande variété de solutions aux problèmes, ils sont également susceptibles d’être plus résilients et durables.

Qu’est-ce que la qualité de la gouvernance ?

On parle de qualité de gouvernance ou de « bonne gouvernance » lorsque les décisions sont prises dans le respect d’un certain nombre de principes inscrits dans la constitution, la législation, les politiques, les pratiques culturelles et le droit coutumier d’un pays donné, et/ou convenus au niveau international dans le cadre de décisions et de conventions internationales. Les principes de bonne gouvernance de l’UICN pour les aires protégées comprennent : la légitimité et la voix, la direction, la performance, la transparence, la responsabilité, l’équité et le respect des droits[10]. La « qualité » est une propriété qui peut se référer à la gouvernance d’un système d’unités territoriales, mais qui se réfère le plus souvent à la gouvernance de territoires ou d’aires uniques.

Qu’est-ce que la vitalité de la gouvernance ?

Dernièrement, la discussion va au-delà de la diversité et de la qualité de la gouvernance pour explorer le concept de vitalité de la gouvernance[11]. Ce concept a été présenté comme la capacité d’un dispositif de gouvernance « d’apprendre, d’évoluer et d’assumer des rôles et des responsabilités de manière opportune, intelligente, appropriée et satisfaisante pour toutes les personnes concernées »[12]. Le terme « vitalité » vient du mot latin vita, qui signifie vie. D’une certaine manière, il relie l’organisation des personnes à l’organisation du reste de la nature… la vitalité de la nature elle-même. Un système de gouvernance qui a de la vitalité maintient sa fonctionnalité à travers le temps et les changements de circonstances. Il a de l’endurance (capacité à persister) et est résilient face aux problèmes et aux défis, mais il est aussi ingénieux et proactif, faisant preuve de la volonté et de la capacité de saisir les opportunités dans tout contexte ou ensemble de circonstances donné. La vitalité de la gouvernance est manifeste dans un tel mode d’organisation positive (une action entreprise de manière autonome vers des objectifs significatifs et utiles). Cela permet, le cas échéant, de concrétiser la capacité de changement transformateur.

Un système de gouvernance vital génère et fait circuler des connaissances pertinentes au regard des décisions en jeu. Au moins deux types de connaissances semblent fondamentaux pour une gouvernance bien informée en matière de conservation : les #connaissances traditionnelles locales, parfois transmises d’une génération à l’autre, et les connaissances produites par une recherche pertinente et ciblée et par l’innovation technologique (et non des moindres, des moyens sophistiqués tels que la télédétection et l’observation géospatiale du changement)[13]. En s’appuyant sur des connaissances de type et d’origine différents, un système de gouvernance vital prévient les problèmes et les menaces et tire profit des opportunités. Cela implique qu’il soit bien informé, qu’il sache discerner la signification et l’importance de divers types d’informations, stratégiques et opportunes.

En outre, un système de gouvernance qui manifeste une forte vitalité doit être capable de rester ferme face à des attraits (par exemple des gains à court terme, des choix faciles et égoïstes, des facteurs de corruption, etc.) qui seraient synonymes de désastre à long terme. Autrement dit, les décisions qu’il prend sont significatives et positives à long terme, ainsi qu’appropriées selon le contexte. Une interprétation possible est de voir la vitalité de la gouvernance comme nécessairement ancrée dans un système d’éthique, ou du moins dans une vision du monde capable de susciter et d’offrir une inspiration et une orientation morale à la société quant aux décisions à prendre pour le territoire ou l’aire en question. Certains d’entre nous parlent d’un système qui « affirme la vie »; la vie faisant référence à la nature et à la biodiversité, mais aussi à la société en général, et à la persistance et au bien-être des communautés gardiennes en particulier.

Enfin, un autre élément de la vitalité de la gouvernance, qui peut ne pas être immédiatement apparent et rarement pleinement présent, est la capacité d’empathie et d’attention. Des agents de décision bien informés et moralement solides peuvent bien fonctionner, mais une profonde appréciation de la nature et des personnes ajoute quelque chose d’intangible mais d’extrêmement puissant à leur volonté et à leur capacité de conserver collectivement la nature. Au-delà de la « gouvernance d’un territoire ou d’une aire », en devenir ses #gardiens signifie chérir et entretenir dans ce lieu spécifique une relation respectueuse et durable entre les humains et les non-humains, ce qui s’apparente davantage à une connexion ombilicale ou à un lien d’amour plus qu’à une relation d’ordre scientifique ou économique. Tirant parti de sa capacité à fonctionner, à être résilient, proactif, créatif, bien informé, perspicace, significatif, à affirmer sa vie et à se soucier des autres, un système de gouvernance vital est susceptible de faire des choix judicieux, qui produisent des résultats positifs pour la nature et les personnes[14]. Grâce à cela, il devrait normalement gagner un certain degré de confiance sociale et de respect, de solidarité et de soutien collectif. Pourtant, ce qui peut être positif au niveau local peut ne pas être apprécié à une autre échelle géographique, ou vice-versa. C’est pourquoi un système de gouvernance ayant acquis une certaine force institutionnelle à un niveau donné doit tout de même être sécurisé à divers niveaux.


Traduction : Samir Laouadi

Principales références :

Graham, Amos et Plumtre et al., 2003; Dudley (ed.), 2008; Borrini-Feyerabend et al., 2013; Centre National pour la Gouvernance des Premières Nations, 2013; Almeida et al., 2015; Borrini Feyerabend et Hill, 2015; Convention sur la Diversité Biologique, 2018a; Convention sur la Diversité Biologique, 2018b.

Pour une synthèse de la consultation rapide sur la gouvernance des aires protégées et conservées, voir : Borrini-Feyerabend et al., 2014.  Voir aussi : gouvernance pour la conservation de la nature – trois courts métrages (en anglais); page de l’UICN sur la gouvernance, l’équité et les droits (en anglais)


[1] Graham, Amos et Plumtre, 2003.

[2] Borrini-Feyerabend et al., 2013.

[3] Borrini-Feyerabend et al., 2014.

[4] Convention sur la Diversité Biologique, 2018b.

[5] Almeida, 2015.

[6] Convention sur la Diversité Biologique, 2018b.

[7] Borrini-Feyerabend et al., 2013, mentionné dans la Convention sur la Diversité Biologique, 2018b.

[8] Centre National pour la Gouvernance des Premières Nations, 2013.

[9] Stan Stevens, communication personnelle, 2019.

[10] #Gouvernance et références incluses.

[11] La discussion sur le concept a été initiée autour du Congrès mondial des parcs de 2014 à Sydney (voir UICN, 2014 et Borrini-Feyerabend et al., 2014). Un volume succinct consacré à la vitalité de la gouvernance pour les aires protégées et conservées est actuellement en préparation.

[12] Borrini-Feyerabend et Hill, 2015, page 192 et suivantes..

[13] Il s’agit clairement d’un élément fondamental au regard du changement climatique et des autres impacts du changement global, et pour cela, la vitalité de la gouvernance nécessite un suivi continu, une adaptation et une collecte d’informations pour la planification et l’action à court et à long terme, en plus de la sagesse et de la capacité à travailler avec les communautés pour soutenir les décisions et mettre en œuvre les mesures d’adaptation.

[14] Du moins à long terme, lorsque des sacrifices immédiats sont nécessaires pour atteindre des objectifs à long terme.